4 octobre 2008

Double peine

La mouture moderne (2005) de Battlestar Galactica, space opera des années 1980, est une merveille scénaristique. Les ramifications complexes, passionnantes et d’une cohérence irréprochable des relations entre les personnages ; les réflexions poussées mais jamais pompeuses sur notre mode de vie ; la finesse des dialogues et des situations présentées ; tout cela est d’une précision admirable, un vrai travail d’horloger.





Attention ça va spoiler !

Vers la fin de la saison 3, à la fin d’un épisode particulièrement intense (le n°17 : Maelstrom), l’un des personnages principaux de la série trouve la mort. Le genre de truc que les scénaristes vicieux, c’est-à-dire à peu près tous, adorent faire. Il serait inconcevable de parler de la mort de manière implicative en « tuant » un parfait inconnu ; avec tout ce qu’on prend dans la gueule à longueur de récits, ce genre de méthode ne fonctionne plus. Non, le seul moyen de toucher le spectateur c’est de s’attaquer à un personnage auquel on est attaché et dont on a suivi les pas plusieurs années durant.




Mais là encore ce n’est pas suffisant. Le spectateur averti (qui en vaut deux et, vous allez le voir, ça a son importance) ne se laisse plus surprendre par ça non plus. Après des années de « je suis ton père », « en fait c’est moi le tueur » et autres « oh mon dieu il est mort et ça fait déjà trois fois cette saison ! » on a l’œil qui s’écarquille moins que les mâchoires. Alors qu’y a-t-il de particulier dans l’approche des géniaux scénaristes de BSG ? C’est que Kara Thrace, puisqu’il s’agit d’elle, meurt deux fois dans cet épisode. La deuxième est la plus parlante : elle trépasse, physiquement ; la première est plus subtile : elle meurt en acceptant la mort elle-même. Et le spectateur suit le même processus.




Voila comment ça se passe : dès le début de l’épisode Kara est condamnée. Si elle tire la tronche tout au long de l’épisode ce n’est pas juste parce qu’elle a des rêves bizarres, qu’elle est fatiguée ou déprimée, ou encore parce qu’elle a des hallucinations, non c’est tout simplement parce la mort pèse déjà sur ses épaules. Et ce fardeau s’accentue un peu plus à chacune de ses apparitions. Ses traits se creusent, petit à petit, et la gloire incandescente qui l’englobe comme une auréole à chacun de ses apparitions dans le Galactica est bien une froide vision de son trépas annoncé. Les scénaristes se permettent même de faire claquer les lumières sur son passage, en bon porte-malheur.
Avant qu’on ne la laisse affronter sa propre mort, Kara doit faire face à celle de sa mère. C’est à travers ce processus, imaginé au cours d’une introspection mystique, que le relai se transmet. La mère de Kara fait accepter à sa fille qu’elle va mourir et le spectateur suit le même processus vis-à-vis de son personnage adoré. C’est ainsi qu’au décès brutal de Kara, le spectateur n’est ni surpris, ni particulièrement triste. Bien sûr ça fait un peu de peine, mais on y a été préparé. La manipulation peut sembler absurde de prime abord, mais c’est lorsque l’on prend conscience que Kara a agonisé tout au long de l’épisode, et que la mort est pour elle un soulagement, que l’émotion arrive. Elle survient après coup, comme celle de son père spirituel, l’amiral Adama, qui fond en larmes après un moment très signifiant de relative sérénité.


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« Partir c’est mourir un peu, mais mourir c’est partir beaucoup. »
Alphonse Allais

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