30 octobre 2008

Juste une blague...


« Coluche - l’histoire d’un mec » : voilà encore un exemple caractéristique de biopic « sur le fil », entre fiction et documentaire. Il s’agit bien d’une fiction car, à l’exception des moments publics (les séquences de spectacles sont reproduites au millimètre et à l’intonation près), l’intégralité du récit est reconstitué. Bien sûr tout cela est basé sur un travail journalistique, mais il n’empêche que ça reste du domaine de la fiction.

Pourtant l’approche stylistique de ce film est bien celle d’un documentaire. La structure narrative en puzzle, composition hachée d’éléments achronologiques, nous donne une impression de moments pris sur le vif, ou sélectionnés comme les séquences choisies d’un documentaire.
Le traitement du sujet (la candidature de Coluche aux présidentielles de 1981 et la campagne qui s’en est suivie) est brut, sans concession, parfois dur envers l’icône elle-même. Ce parti pris est celui de la représentation du vrai, loin des biopics qui nous présente un personnage semi-légendaire qui n’a aucune substance réaliste (cf. biopics américaines de base).
« Coluche » est aussi le portrait d’une époque, celle de la France des années 1980, dont les préoccupations seront toujours présentes presque 30 ans plus tard. Aucun spectateur ne manquera de se poser la question : que dirait ou ferait cet homme aujourd’hui ? Ce regard sur le passé est aussi un moyen de mettre en lumière les changements que la France a subie ces dernières décennies.



Une double écriture très fine, pas très poussée mais du coup très légère, sous-tend tout le récit. La scène qui m’a le plus marqué est un très bel exemple de double langage : une petite fille qui marche, un petit garçon caché derrière un mur qui lui fait peur quand elle passe, par surprise ; et le dialogue suivant :
« Ah c’est malin !
– oh ça va, c’était juste une blague…
– ouais… juste une blague… »

Vraiment, c’était juste une blague ?

"On croit que les rêves, c'est fait pour se réaliser. C'est ça, le problème des rêves : c'est que c'est fait pour être rêvé."
Coluche

12 octobre 2008

That's the Spirit !


Dans la mise en image de toute biopic se pose la question du choix des comédiens : qui va bien pouvoir incarner le personnage dont on retrace l’existence ? Il convient d’être ressemblant, un minimum, pour être crédible, un maximum. Combien de critiques et autres observateurs cinéphiles ne manquèrent pas de s’extasier devant la métamorphose de ces comédiens qui, l’espace d’un film, nous ont fait croire qu’ils étaient une autre figure connue. C’est évidemment beaucoup plus difficile d’être crédible dans le rôle de quelqu’un dont le visage est familier que dans celui d’un personnage inconnu.
Ah oui, vraiment ?


Bien sûr on se heurte à l’Image, celle dont toute célébrité est affublée et qui varie un peu au gré des relais médiatiques. On peut choisir de s’y calquer ou au contraire de s’en dégager, mais cette Image constitue un point de repère qui est le fondement de la biopic. Et finalement cette image n’est-elle pas un matelas confortable sur lequel les comédiens peuvent venir se reposer ? N’est-ce pas finalement plus délicat de créer un lien empathique avec un personnage qui n’a jamais eu d’existence que dans l’imagination d’un scénariste ?

Lorsqu’il a choisi 6 acteurs différents (vraiment différents) pour incarner Bob Dylan dans « I’m not there » Todd Haynes n’a pas choisi la facilité. Mais c’est pourtant ce choix qui lui a permis d’atteindre, non pas l’Image du chanteur, mais l’esprit d’un homme. Un homme qui, comme tout un chacun, n’a cessé d’évoluer au cours de sa vie. Autant de facettes de Dylan, autant de comédiens. Aucun d’entre eux ne représente le vrai Dylan, et cette vérité qui est la faille de toute biopic, Haynes l’assume pleinement dès le début. Débarrassons-nous d’une réalité que nous ne pourrons jamais atteindre et faisons ce que nous savons faire : de la fiction. En effet la biopic, bien qu’inspirée d’une vie, ne constitue pas un documentaire et à confondre réalité et cinéma, on porte atteinte à la vérité de ces figures légendaires que le cinéaste ne connaît pas aussi bien qu’il voudrait souvent le faire croire.

Je crois que le secret d’une adaptation réussie n’est pas dans la fidélité mais dans la « capture » de l’Esprit d’une œuvre. Il en va de même pour la biopic et Todd Haynes, en assumant l’imperfection de son média, a su représenter l’Esprit de Dylan beaucoup plus facilement et avec bien plus de respect pour son sujet que s’il s’était soucié de fidélité réaliste.

« L’identité n’est pas donnée une fois pour toutes, elle se construit et se transforme tout au long de l’existence. »
Amin Maalouf

4 octobre 2008

Double peine

La mouture moderne (2005) de Battlestar Galactica, space opera des années 1980, est une merveille scénaristique. Les ramifications complexes, passionnantes et d’une cohérence irréprochable des relations entre les personnages ; les réflexions poussées mais jamais pompeuses sur notre mode de vie ; la finesse des dialogues et des situations présentées ; tout cela est d’une précision admirable, un vrai travail d’horloger.





Attention ça va spoiler !

Vers la fin de la saison 3, à la fin d’un épisode particulièrement intense (le n°17 : Maelstrom), l’un des personnages principaux de la série trouve la mort. Le genre de truc que les scénaristes vicieux, c’est-à-dire à peu près tous, adorent faire. Il serait inconcevable de parler de la mort de manière implicative en « tuant » un parfait inconnu ; avec tout ce qu’on prend dans la gueule à longueur de récits, ce genre de méthode ne fonctionne plus. Non, le seul moyen de toucher le spectateur c’est de s’attaquer à un personnage auquel on est attaché et dont on a suivi les pas plusieurs années durant.




Mais là encore ce n’est pas suffisant. Le spectateur averti (qui en vaut deux et, vous allez le voir, ça a son importance) ne se laisse plus surprendre par ça non plus. Après des années de « je suis ton père », « en fait c’est moi le tueur » et autres « oh mon dieu il est mort et ça fait déjà trois fois cette saison ! » on a l’œil qui s’écarquille moins que les mâchoires. Alors qu’y a-t-il de particulier dans l’approche des géniaux scénaristes de BSG ? C’est que Kara Thrace, puisqu’il s’agit d’elle, meurt deux fois dans cet épisode. La deuxième est la plus parlante : elle trépasse, physiquement ; la première est plus subtile : elle meurt en acceptant la mort elle-même. Et le spectateur suit le même processus.




Voila comment ça se passe : dès le début de l’épisode Kara est condamnée. Si elle tire la tronche tout au long de l’épisode ce n’est pas juste parce qu’elle a des rêves bizarres, qu’elle est fatiguée ou déprimée, ou encore parce qu’elle a des hallucinations, non c’est tout simplement parce la mort pèse déjà sur ses épaules. Et ce fardeau s’accentue un peu plus à chacune de ses apparitions. Ses traits se creusent, petit à petit, et la gloire incandescente qui l’englobe comme une auréole à chacun de ses apparitions dans le Galactica est bien une froide vision de son trépas annoncé. Les scénaristes se permettent même de faire claquer les lumières sur son passage, en bon porte-malheur.
Avant qu’on ne la laisse affronter sa propre mort, Kara doit faire face à celle de sa mère. C’est à travers ce processus, imaginé au cours d’une introspection mystique, que le relai se transmet. La mère de Kara fait accepter à sa fille qu’elle va mourir et le spectateur suit le même processus vis-à-vis de son personnage adoré. C’est ainsi qu’au décès brutal de Kara, le spectateur n’est ni surpris, ni particulièrement triste. Bien sûr ça fait un peu de peine, mais on y a été préparé. La manipulation peut sembler absurde de prime abord, mais c’est lorsque l’on prend conscience que Kara a agonisé tout au long de l’épisode, et que la mort est pour elle un soulagement, que l’émotion arrive. Elle survient après coup, comme celle de son père spirituel, l’amiral Adama, qui fond en larmes après un moment très signifiant de relative sérénité.


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« Partir c’est mourir un peu, mais mourir c’est partir beaucoup. »
Alphonse Allais